À l’aube de 2007, année des 18 ans d’Élianne, la vie est belle. Elle étudie en bio-écologie et se dirige en biologie marine. Elle est athlète en vélo de montagne, a un amoureux et part pour le Mali visiter son frère et sa famille... Élianne est heureuse. Jusqu’à la journée fatidique où sa vie bascule.
Les textes de cette chronique proviennent d'extraits de courriels envoyés à la famille par Jocelyne, sa maman. L’histoire d’Élianne m’a bouleversée et je voulais vous donner la chance de la lire. Pour vous faire connaître un peu Élianne, nous avons débuté cette chronique dans le numéro de mai 2017 par son voyage au Mali avec Jocelyne. Nous vous recommandons cette lecture préalable. MISE EN GARDE : certaines images et textes peuvent heurter la sensibilité des personnes non averties.
Élianne prend conscience de ses pertes
6 mars 2008 (suite)
Au niveau cognitif : elle est de plus en plus orientée au centre et très bien orientée à la maison. Elle a beaucoup plus d'initiative et va elle-même se chercher ses affaires. Elle veut aussi beaucoup aider à la maison pour la popote ou autre, elle n'aime pas tellement se sentir inutile. Elle reconnaît de mieux en mieux les gens qu'elle voit régulièrement et sa mémoire s'améliore… un peu… tranquillement. Elle peut maintenant se rappeler qui elle a vu la veille, qui a appelé, etc. même si elle n'est pas toujours certaine. C'est toujours difficile pour elle de distinguer certaines choses : animaux, fruits, etc., mais elle continue de travailler cela.
Ce qui lui manque le plus, je crois, c'est d'avoir une vie de fille de son âge, de voir ses amies. On est retourné à Sherbrooke dernièrement et elle a vu sa gang et tout particulièrement Roxanne, sa grande amie. C'était toute une première pour nous, elle a passé la soirée et la nuit chez Roxanne sans que nous ou Nico ne soyons présents, et c'était ses amies qui devaient s'occuper d'elle, l'aider pour la toilette et se mettre en pyjama. Tout a bien été et Gilbert et moi en avons profité pour aller prendre un bon souper. Aussi, l'autre soir, ses amies qui sont à Lionel Groulx sont venues souper avec elle et passer la soirée au centre, elle apprécie beaucoup ces occasions qui sont encore trop rares à son goût. Nous sommes aussi allées souper au resto avec Marie-Christine et ses parents, chose que nous nous sommes promis de répéter bientôt, car c'était bien agréable.
Pour nous, c'est assurément très exigeant quand Élianne est à la maison, car il doit encore y avoir toujours quelqu'un avec elle, ce qui nous limite pas mal pour ce qui est de nos activités. Comme Gilbert reprendra bientôt son rythme d'été, j'appréhende un peu tout ce que cela exigera de moi en termes de présence, peut-être que je chercherai des amis pour assurer, ici et là, pendant une petite heure, avis aux intéressé(e)s!!!
J'ai reçu un subpoena pour comparaître le 14 mai devant le juge. J'aurai alors l'occasion de lui exprimer tout ce que cette aventure a représenté et continue de représenter pour nous et pour Élianne. Comme Élianne tient à être présente, elle veut voir QUI est la madame, j'ai convenu avec le procureur que je lui ferai parvenir un document écrit qui indique quelles sont les séquelles présentes et possibles pour Élianne, car il est hors de question qu'elle se fasse « garrocher » cela tout d'un coup. Elle prend tranquillement conscience de ses pertes, et c'est bien qu'elle le fasse à son rythme à elle, et non de recevoir le paquet tout d'un coup. Il est cependant bien important, avant le prononcé de la sentence que le juge soit bien conscient des séquelles possibles à long terme, et sur lesquelles personne ne peut encore se prononcer. J'appréhende beaucoup ce moment, d'autant plus qu'il est fort probable que le juge nous entende et qu'il remette le prononcé de la sentence à une date ultérieure. Cela fera déjà un an à ce moment-là!
En prévision de me préparer pour parler au juge, j'ai fait venir les dossiers d'admission d'Élianne à Saint-Jérôme de l’Hôpital du Sacré-Cœur, et laissez-moi vous dire que sa survie tient vraiment du miracle. Le mot « décérébration » écrit partout, c'est assez frappant… Le rapport des ambulanciers est assez dérangeant… et je ne peux qu'imaginer toute cette horreur.
En faisant du ménage dans les affaires d'Élianne, j'ai trouvé les derniers relevés des achats qu'elle a faits avec sa carte de débit, juste la veille de l'accident, juste avant que sa vie ne soit changée à jamais, c'est plutôt bouleversant de revoir les vêtements qu'elle a portés dans une autre vie… Aussi, Gilbert et moi avons regardé dernièrement nos photos de la Californie, c'était à Pâques, l'an dernier, aussi dans notre ancienne vie… à l'époque où l'on pouvait laisser notre fille seule pour quelques jours, où on l'appelait et qu'elle sacrait parce qu'elle et Nico ont pelleté sans arrêt pendant que nous étions bien au chaud sur la côte californienne! Plus j'y pense, plus je pense que ce qui me manque le plus de l'ancienne Élianne est son… mauvais caractère!!! C'est un peu fou, mais c'est de même!
À part ça, mon frère Yves est revenu définitivement du Mali, Issa, notre ange gardien, a commencé à bâtir le toit de sa maison avec l’argent que je lui ai donné, et il m'a écrit une belle lettre et m'a envoyé un beau tissu pour me remercier.
Je continue à penser à vous tous, et j'espère bien vous voir le 1er juin et que nous serons nombreux, les détails de la fête suivront en avril. On pourra sans doute fêter la sortie d'Élianne du centre, je crois que cela se fera autour de mai ou de juin.
En attendant, la vie continue, Martine nous a surnommées elle et moi « petit trot » et « grand galop », et contrairement à ce que certains d'entre vous seraient portés à croire : grand galop, c'est elle!
Je vous redonne des nouvelles en avril, finalement, le temps passe très très vite maintenant, et c'est aussi ce qu'Élianne pense.
xxx Jocelyne