Les enfants de Yuki, après deux ans d’université au Manitoba, ont chacun à leur tour, à trois ans d'intervalle, consacré une année entière à étudier le japonais à l’Université Tokai au Japon et à s’entraîner avec son réputé club de judo, les deux, de façon intensive. Nous vous présentons les écrits combinés de leur journal de bord respectif, lesquels seront émaillés de notes rétrospectives et d’échanges sur leur expérience.
20 septembre 2011
Test de positionnement en japonais
Nous avons eu un test de positionnement aujourd’hui pour évaluer notre connaissance de la langue. Cela va déterminer le niveau de la classe dans laquelle nous serons placés. Je serai assurément dans un niveau débutant. J’aurais probablement pu, et dû, étudier davantage pendant
l’été, mais je ne suis pas trop inquiète. Je serai placée au niveau où l’on pense que je devrais être. Et c’est assez flexible. Si je trouve les cours trop faciles, je peux demander de changer de niveau.
Le début du test était assez facile… simplement écouter et écrire des mots… puis, il fallait écouter de courts dialogues et répondre à des questions... C’est devenu de plus en plus difficile, jusqu’à ce que je ne sois plus vraiment capable de comprendre grand-chose de ce qui se disait. Ensuite, il fallait compléter un tableau de hiraganas, qui était la partie facile. Enfin, nous devions insérer des particules dans des phrases et des conjugaisons de verbes. Dans toute ma formation scolaire, c’est certainement le pire résultat de test que j’ai eu. Mais comme je le disais, le niveau dans lequel on va me placer ne me préoccupe pas. Peu importe le niveau, je vais étudier fort.
Cérémonie d’admission
La cérémonie d’admission a eu lieu cet après-midi. Quelques discours, quelques chansons interprétées par la fanfare universitaire, quelques périodes d’assoupissement, et c’était fini. Ensuite, ma mère au Japon, Reiko, deux autres étudiantes internationales, Mari et Zara, et moi, nous nous sommes dirigées vers l’hôtel de ville pour obtenir nos cartes d’identité à titre de ressortissantes étrangères.
Avec Zara du Danemark et Mari de la Finlande
Je ne sais pas comment nous aurions fait sans Reiko. Les Japonais ne nous rendent vraiment pas les choses faciles, à nous les gaikokujin (étrangers). Le personnel de l’hôtel de ville parle très peu l’anglais, même au comptoir de services pour les non-Japonais. Une fois rendues là, nous avons pris connaissance d’un autre formulaire à compléter pour une assurance médicale. J’espère juste que je n’ai rien oublié d’important. De façon générale, tout le temps qu’on m’a donné des explications au sujet des documents, je n’ai compris que lorsqu’on me demandait gentiment de m’asseoir et de patienter. Je suis pas mal bonne à ça! ; )
J’ai profité de mon passage à l’hôtel de ville pour acquérir le hanko de ma famille. Il s’agit d’un sceau avec le nom de la famille en kanji. C’est ce qu’on utilise souvent au Japon pour remplacer la signature.
Dîner à la cafétéria
J’aime la mode ici. Beaucoup de jolis motifs et coloris. Une chose toutefois qui m’apparaît incompréhensible, c’est le port de talons hauts dangereusement élevés. La majorité des femmes se promènent toute la journée en talons hauts, même sur le campus où l’on doit marcher de 10 à 15 minutes pour se rendre où que ce soit. J’ai questionné ma mère aujourd’hui là-dessus et elle m’a répondu que la plupart des femmes privilégient l’apparence au confort.*
*Le 23 mai 2019 : C’est encore quelque chose
que je peine à comprendre, même à ce jour. Peut-être que
si j’étais née et avais grandi au Japon, je penserais différemment.
Je me souviens avoir regardé des femmes en talons hauts gravir des
pentes abruptes et monter des escaliers du métro, et en être abasourdie.
Je ne peux pas comprendre pourquoi les femmes soumettent leurs
pieds à tant de douleur et d’inconfort. Mais je crois que les femmes
japonaises ont maîtrisé l’art de souffrir en silence pour
satisfaire les attentes socioculturelles.
J’ai l’intention d’acheter quelques vêtements et souliers japonais ici, même des talons hauts, mais vous ne me verrez pas les porter sur le campus, ça, c’est certain. Mes pieds sont déjà douloureux de marcher toute la journée. Et je marche en chaussures de course et en sandales. De plus, je n’ai pas besoin de me blesser en dehors des matelas de judo. Le judo est bien assez dangereux comme ça.
J’ai eu ma première expérience de la pluie ici. Il a plu à quelques reprises aujourd’hui, en fait il pleut au moment même où je tape ceci. C’est rafraîchissant après les températures de 30° de ces derniers jours. Et... le climatiseur mérite une pause de temps en temps.
20 septembre 2014
Université Tokai – Le début
Jeudi, le 18 septembre, j’ai participé à la cérémonie d’admission pour les étudiants du programme Nihongo Bekka (seulement ceux qui ne font pas partie d’un programme d’échange). La cérémonie était un peu étrange. Il y avait une fanfare qui jouait pour créer de l’ambiance, probablement la fanfare des écoles secondaires ou des universités
affiliées. Elle a joué un pot-pourri de chansons thèmes de Doraemon, d’Alladin et de chansons que je connaissais, ainsi que d’autres que je ne connaissais pas. Nous sommes entrés au son de la fanfare et j’étais le premier de la file, c’est bien ma chance! Nous nous sommes assis sur des chaises de classe ordinaires et nous avons attendu pendant environ 20 minutes avant que les dignitaires entrent dans la pièce.
Un peu après, le maître de cérémonie a pris le micro et, non sans surprise, a commencé à parler en japonais. Encore une fois c’est bien ma chance… ha ha. Toute la présentation était en japonais, je n’ai donc pas pu comprendre grand-chose. La musique, qui s’était tue lors des présentations, a repris, et les rideaux de la scène ont commencé à s’élever. Un autre microphone et huit autres dignitaires sont apparus, incluant Yasuhiro Yamashita, la personne la plus connue dans le monde du judo, après Jigoro Kano[1], bien entendu. Un de ces dignitaires s’est avancé au micro et a commencé à parler.
Ce que je n’ai pas dit, c’est que cette cérémonie a commencé à 14 h. S’il y en a qui me connaissent, ils savent que pour moi, ce moment de la journée est le pire temps pour me demander de m’asseoir et d’écouter, ou d’étudier. Comme d’habitude, j’ai commencé à m’assoupir. Le fait de ne rien comprendre n’a pas aidé non plus. J’ai senti ma tête cogner des clous à quelques reprises et j’ai même failli m’endormir pendant une fraction de seconde. Mais à ma grande surprise, c’était la même chose du côté des dignitaires, plusieurs avaient les yeux fermés et la tête baissée. Alors je ne me sentais pas si mal. Un deuxième dignitaire s’est avancé au micro... et a pris autant de temps. Il était tout aussi intéressant que le précédent... ha ha. Puis, on nous a demandé de nous lever de nos sièges pour la 5 ͤ fois, et la fanfare a commencé à jouer. Mais cette fois, les dignitaires et tout le monde autour ont commencé à chanter. Apparemment, c’était l’hymne de Tokai? Par la suite, une autre personne a pris le micro et il parlait de façon plus compréhensible que les intervenants précédents. Il nous a dit avoir remarqué que nous ne chantions pas avec les autres et nous a demandé d’apprendre ce chant par cœur pour que nous puissions le chanter lors de la cérémonie de départ. Plus facile à dire qu’à faire, mais je vais essayer.
En revenant à mon dortoir, je me suis livré à quelques réflexions. « Je fais maintenant partie de l’université. Je suis officiellement un étudiant de l’Université Tokai, et ce n’est pas une mince affaire. Je suis membre d’un contingent de 26 000 étudiants, je vis la vie d’un étudiant international et le mode de vie japonais, en plus de suivre un régime japonais, et tout ça par moi-même. » Ce que je ressentais à ce moment-là était un mélange de fierté et d’angoisse.
Ils ont dit « Ganbatte[2] »! Et c’est ce que je ferai.
L’affiche dit « Cérémonie d’admission de l’Université de Tokai ». J’ai dû me mettre sur mon trente-et-un.
[1] Jigoro Kano est le fondateur du judo.
[2] Ganbatte : généralement « bonne chance » ou « bon courage », mais ici, « fais de ton mieux », « ne me déçois pas ».