Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.
La joie du confessionnal
– Trois péchés obligatoires –
Le premier vendredi du mois représentait un temps de purification, car c'était ce jour-là que nous devions aller nous confesser. De tous les sacrements de l'Église, c'était le sacrement pénitentiel que j'aimais le moins. L'idée de me claustrer à la noirceur dans une petite boîte et de confier tous mes péchés à Monsieur le Curé me déplaisait. Même si Sœur Albert en classe de catéchisme nous parlait de la joie et de la libération de nous confesser, et que dans ce confessionnal Jésus nous embrassait de ses mains consolantes pour nous transformer, pour moi, ce n’était jamais une partie de plaisir. Mais enfin, il fallait y aller, car si je n’y allais pas, je risquais de mourir avec une âme polluée de péchés, et cela m’empêcherait possiblement de franchir les portes du ciel. Avec le temps, en y réfléchissant bien, j’ai constaté que ce pensum pénitentiel était un mal pour un bien : en me confessant à Monsieur le Curé le premier vendredi du mois, on me garantissait le bonheur éternel au ciel. Ça en valait sûrement la peine!
Avant l'épreuve du confessionnal, nous avions toujours une demi-heure réservée à une réflexion personnelle où nous devions faire le bilan de nos défaillances contre Dieu et toute l’humanité. Cette conférence avec notre conscience, un véritable grattage de nombril, ne faisait qu'aggraver le trac. Une fois l'examen terminé, nous attendions patiemment notre tour, tout en regardant ceux qui sortaient du confessionnal, la conscience claire et l'âme pure.
Le problème fondamental que posait la confesse mensuelle s'accentuait au fait qu'à mon jeune âge, je n'étais pas et n'avais jamais été un grand pécheur. Je n'avais jamais grand-chose à
confesser, alors je m’étais résigné à toujours garder mes trois péchés habituels. Mon palmarès de péchés était bien sûr tout véniel et il comprenait les jurons et les mots grossiers, la désobéissance envers mes parents et en dernier lieu, mais pas nécessairement par ordre d'importance, le mensonge. Ces péchés m'étaient les plus fiables et me garantissaient non seulement l'absolution, mais une pénitence pas trop sévère, habituellement une dizaine de Je vous salue Marie, deux Notre Père et un chemin de croix vite fait.
Le premier péché était simple et, d’après ce qu’on me disait dans la cour d’école, un des plus populaires parmi mes confrères pénitents. Cependant, il est bon de noter qu'à l'exception de quelques jurons innocents, de temps à autre, mon vocabulaire était généralement bien et nul de mots grossiers. En effet, ce premier péché souffrait parfois de sécheresse et il m'est arrivé à quelques reprises de n'avoir aucun mot grossier à mon actif le jour avant la confession. Dans un tel cas, tous les premiers jeudis du mois, je devais m'assurer de jurer au moins une fois afin d'être prêt pour le lendemain.
Le deuxième péché, la désobéissance envers mes parents, était le plus louche des trois, car j'obéissais toujours à mes parents. Je devais alors justifier l'inclusion de ce péché en me disant que, même si je ne désobéissais pas à mes parents, l'idée de désobéir était toujours là et que c'était l'intention qui comptait. En même temps, je m'étais raisonné au fait que ce deuxième péché pouvait être réversible, c'est-à-dire qu'il pouvait servir deux fois. J'avais réussi à le justifier auprès de moi-même comme étant un vrai péché, mais cette justification forcée le poussait à la limite de l'exagération et au seuil de la fabrication. C'est sa proximité à la fabrication qui lui méritait le nom de « mensonge ». Voilà, mon troisième péché. Non seulement ce cercle vicieux m'assurait d'avoir un péché pour le mois suivant, mais la complexité et la génialité de tout le processus m'avaient gagné plusieurs éloges auprès de mes amis avec qui je partageais ces secrets du confessionnal.
(suite au prochain numéro)